Solitude du dirigeant : nouvelles règles du “JE” ?

solitude du dirigeant - chronique par Clio Franguiadakis - Osez l'Odyssee

Solitude du dirigeant : nouvelles règles du “JE” ?

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La solitude : une multitude de causes

Qui n’a pas un jour ressenti la solitude, y compris au travail ? Tout dépend de l’angle de perspective. Mettons aujourd’hui le curseur sur les dirigeant-e-s et/ou responsables en charge d’une équipe, que je dénommerai « leader », qu’il soit un homme ou une femme, et quel que soit le type d’organisation.

L’enjeu de mon propos ? …amener tous leaders à changer d’état d’esprit et à considérer la solitude comme un bienfait, à développer la bienveillance envers soi et la qualité de leurs interactions.

Solitude et isolement : 2 conceptions proches…

Se sentir seul par manque d’affection ou d’amitié renvoie plutôt à la solitude, tandis que le fait d’être isolé ou déconnecté des autres, avec peu d’interactions physiques ou verbales, et l’impression de ne pas pouvoir compter sur l’assistance d’autrui, renvoie plutôt à l’isolement.

Il s’agit ensuite d’affiner son ressenti : réel et objectif ou perçu et subjectif ? Temporaire, durable ou permanent ?  Géographique, matériel, affectif, intellectuel et/ou spirituel ? Physique et/ou relationnel ? Recherché et cultivé ou bien subi ?

Une multitude de causes…

Nos façons de penser, vivre, travailler et entrer en relation ont été bouleversées ces dernières décennies. Les employés d’une organisation ne sont pas seuls impactés par la transformation digitale, l’ouverture au monde, la crise du coronavirus. Le leader doit également faire face, seul, et s’approprier les nouveaux usages et nouvelles règles du jeu, et ce dans un monde d’évaluation de ses performances qui cadencent son quotidien. De plus, il vit différemment sa solitude selon qu’il dirige une micro-entreprise ou TPE, une PME ou ETI avec à ses côtés experts et consultants.

…aggravées par nos pratiques habituelles de travail

Performance, évaluation, concurrence, procédures de contrôle, tirer le meilleur de chacun, modéliser les comportements, maintenir la compétitivité au plus haut : « performer » exhorte l’individualisme au détriment du collectif de travail, et étiole la confiance nécessaire à la coopération. Et c’est la porte ouverte à l’isolement et à la solitude. D’où la prise de distance de collaborateurs et leaders, confrontés à leurs limites, leur vie psychique et physique étant atteinte, leurs besoins de reconnaissance et d’appartenance au groupe n’étant plus satisfaits.

Facteurs amplificateurs de solitude du dirigeant ou leader

  • Absence de bras droit ou personne de confiance alors qu’il a besoin d’aide. Malgré ses qualités, talents et compétences, il doit faire face à un changement d’identité, prendre seul des décisions aux conséquences angoissantes et accepter des responsabilités qui l’isolent.
  • Temps de travail hebdomadaire avoisinant les 70 heures : peu ou pas de repos ni vacances et négligence de son hygiène de vie. La surcharge de travail l’isole davantage encore de son entourage qui ressent alors incompréhension et impuissance.
  • CA et activité en baisse, perte de clients, résultats déficitaires : la hantise de tout leader qui ne peut alors pas réinvestir dans le développement de son business ni sa formation, doit renoncer à certains projets et à se rémunérer.
  • Fait d’être seul dirigeant et propriétaire de l’entreprise : statut fantasmé à tort par son entourage, ses collaborateurs et partenaires qui projettent sur lui des attentes irréalistes comme « il est sensé tout savoir et pouvoir, et avoir réponse et solution à tout ! ». Or le leader n’est ni infaillible ni magicien.
  • Difficultés de recrutement : en a-t-il les moyens ? De toute façon, le leader sait faire et fait seul, avec ou sans complexe de l’imposteur (« jusqu’à présent j’étais seul-e à savoir que j’étais nul-le et je suis arrivé-e à le cacher – maintenant que je prends de nouvelles responsabilités, ça va se voir ! »), il est fort, se sur-adapte et serre les dents.
  • Fait de vivre seul et de n’avoir aucun confident. Le leader d’aujourd’hui manque de temps pour faire de réelles rencontres et se cachent derrière son écran. Quant à ses amis ou famille, ils sont les moins compétents pour le comprendre et l’aider dans ses choix stratégiques, manquant d’objectivité.

En 2016, l’étude BPI France Le Lab a établi que la solitude des leaders s’intensifie avec le poids des responsabilités dans un environnement complexe et incertain.

Et des éléments d’ordre personnel ?

Le leader a une vie personnelle : ses épreuves de vie représentent autant d’occasions de ressentir (in)directement solitude et isolement à un moment ou à un autre et à divers degrés, dont certaines ont sans doute laissé une trace émotionnelle qui donne (in)consciemment une tonalité particulière à l’exercice de sa fonction de leader.

« Le silence et la solitude nous en apprennent plus sur notre essentiel que n‘importe quel discours, grands philosophes et maitres à penser inclus. Aucun guide extérieur ne nous emmènera jamais si loin, à la découverte de ce que l‘on est, que le lâcher-prise personnel sur toutes les croyances et représentations que le tumulte de la vie forme en nous. » Laurence Witko 

Un douloureux secret…

Qu’en est-il de la peur, cette émotion de survie qui l’envahit parfois un peu trop, notamment face à un danger fantasmé, et l’amène à l’immobilisme ou à la procrastination ?  Etonnant ?!

  • Peur d’être soi-même : s’affirmer, prendre sa place, exprimer ses ressentis, oser être déloyal à certaines valeurs sociétales ;
  • Peur des autres : leur jugement et regard, leur rejet ou abandon ;
  • Peur de la vie : manquer, perdre, choisir, décider, agir, avancer ;
  • Peur d’échouer… et de réussir.

La peur est souvent présente dans le quotidien du leader sous la forme de doute, crainte, confusion, nervosité, anxiété, incertitude, appréhension, syndrome de l’imposteur, vigilance, agitation, tension, manque de confiance en soi, dévalorisation de soi…et participe de son sentiment de solitude ou d’isolement.

Une influence culturelle et sociétale déterminante

Le leader est avant tout un être humain, influencé (in)consciemment par son cadre de référence qui structure ses pensées, ressentis, comportements, décisions et actions au quotidien. Tel un ADN composé de son éducation, histoire, milieu social et culturel, émotions et croyances, expériences et rencontres, statut et rôles sociaux… en bref : tout ce qui l’a construit et conditionne sa vision de la solitude, laquelle sera bien différente selon son lieu de vie. Que révèle notre culture française ? …qu’être seul signifie ne pas aller bien, n’être pas quelqu’un de bien, inadapté, faible, handicapé, voire puni par la société. Le regard de l’autre est sans appel : juge, montre du doigt, dénonce, lance une rumeur… Plus l’on se sent exclu, plus l’on s’éloigne des autres, plus on leur en veut ! Alors que tout être humain s’est senti ou se sentira seul un jour, surtout les femmes qui souffrent bien plus d’isolement associé à l’échec, que les hommes qui l’associent fièrement à la valeur d’indépendance (Baromètre Fondation de France & Credoc 2020).

La honte… blessure invisible au cœur de l’entreprise

Rares sont les leaders à révéler leur solitude en public : ils font plutôt bonne figure, jouent à superman ou superwoman, veillent sur leur réputation. Leur idéologie du leadership interdit trop souvent de s’épancher sur leurs soucis ou affects, comme s’ils étaient anesthésiés par leur solidité obligée, adressant ainsi à leurs collaborateurs et partenaires le message subliminal « si vous voulez devenir dirigeant ou leader, faites face et ne vous plaignez pas ! ». Tabou la solitude…

Tout sauf éprouver la honte ! …ce sentiment d’inadéquation lié au regard et au rejet de l’autre qui désapprouve notre comportement et condamne nos erreurs. En lien avec notre histoire, nous l’avons apprise de nos parents et de la société. La honte s’élabore dans la pensée et déclenche notre culpabilité, nous amenant à nous attribuer la responsabilité de ce qui a agacé l’autre.

Ce risque symbolique habite plus ou moins tout leader qui veut bien faire les choses et a fondamentalement besoin d’être reconnu en tant qu’individu et professionnel qui réussit. Il n’est pas prêt de confier son sentiment de solitude à quiconque !

Les coûts de la solitude ?

Si ses effets auprès des employés d’une organisation sont reconnus en termes de démotivation, turnover, incidents, ambiance de travail abîmée…, l’on constate également une dégradation du bien-être et de la productivité du leader qui se sent seul : peur de l’imprévu, agitation, éparpillement, sur-adaptation, baisse de créativité, manque de discernement, insomnies, repli sur soi, dépression… burnout. Cela fait peser de gros risques aux micro-entreprises et TPE.

La solitude : révélatrice de vos besoins

Le travail résonne symboliquement en chacun, quelle que soit sa fonction au sein de l’organisation, et plus fortement encore chez le leader qui engage tout son corps, sa tête et son cœur, son âme, pour vivre une expérience hautement nourrissante et épanouissante. Il met tout en œuvre pour s’adapter, transformer et produire, créer et composer… en fonction de ses aspirations, personnalité, singularité, compétences. C’est le sens qu’il y mettra qui fera toute la différence, et la reconnaissance reçue de son entourage personnel et professionnel qui concourra à l’édification de son identité et lui permettra, peut-être et en partie, de sortir de sa solitude

En bref : le leader a lui-aussi grand besoin de soutien et encouragements, écoute et échanges.

« Connaissez-vous les dingues de travail soir et weekend, de bruit et musique, drague et aventures sexuelles, haine et rumination, achats et centres commerciaux, vie associative et agenda bien rempli, Internet et courriels, réseaux sociaux et likes ? L’individu qui a peur de découvrir que sa vie, son travail ou ses relations sont vides de sens a recours à des subterfuges pour échapper à la solitude ». François Delivré

Et si la solitude était une richesse, elle serait…

…un rêve de liberté pour certains, une réalité pour d’autres, qui répondraient à leurs besoins fondamentaux de vivre au présent et de relativiser, qui seraient l’opportunité de se retrouver en paix avec Soi (et les autres) sans jamais s’ennuyer, et d’écouter sereinement le silence, le bruit du vent ou le chant des oiseaux, loin des ruminations de l’âme et de l’agitation du corps, de cette pression qui nous fait perdre la tête.

Aux dirigeants et leaders en proie à la solitude :

Osez changer les règles du jeu… et du “JE” !

Voilà quelques bonnes astuces pour rompre avec la solitude-souffrance et se relier à la solitude-bienfait. Car apprivoiser sa solitude et savoir être seul-e, c’est aller mieux vers les autres, gagner en discernement, déployer sa créativité, ce qui procure une tout autre saveur à sa vie professionnelle !

Prendre rendez-vous avec soi suspendre le temps

  • Ouvrez les bras à la solitude : écoutez votre voix intérieure, vos pensées sombres et lumineuses, vos émotions et réactions corporelles. Quelle histoire vous racontez-vous ?
  • Prenez soin de vos peurs et vieux démons, vos craintes de perdre ou manquer, pour rester en bonne santé.
  • Identifiez et nourrissez vos différents niveaux d’identité : dirigeant, manager, équipier, mari, ami…
  • Evadez-vous 1 heure par jour grâce à des plaisirs corporels (sport, nature, massage, alimentation, amour), relationnels (interactions avec ses proches ou pairs, évènements professionnels), intellectuels (lecture ou écriture, cinéma, exposition, activité artistique), spirituels (méditation, engagement pour une cause, développement personnel). Répercussions positives à venir sur vos performances !
  • Accordez-vous des moments en pleine nature, ici et maintenant, en conscience :  écoutez, observez, contemplez, respirez cette nature qui a des effets magiques et réparateurs.
  • Exprimez régulièrement votre gratitude à votre entourage, avec bonheur et générosité.
  • Archivez les beaux messages, feedbacks positifs et compliments reçus : vous êtes bien mieux entouré que vous le pensiez !
  • Exercez une action bénévole pour combler votre besoin de sens et de contribution sociétale.
  • Stop au « vite, vite, vite » et à la multiplication des activités vides de sens qui sont une fuite en avant ! Eloge de la lenteur, intensité et qualité.
  • Soignez vos nuits et la solitude perdra son impact.

Court-circuiter les schémas de performance

  • Entourez-vous de consultants, coach, mentor si vous en avez les moyens.
  • Rééquilibrez votre agenda : alternez avec justesse les moments seul (repos, réflexion, projets, décisions) et les phases avec du monde.
  • Variez les lieux de travail si possible et laissez toute liberté à vos idées.
  • Suivez 1 à 2 formations courtes par an pour satisfaire votre besoin d’apprentissage et de relations.
  • Réfléchissez avec un coach à votre identité et au sens du travail, puis agissez !
  • Osez confier vos doutes ou craintes : je ne sais pas, je n’ai pas la solution, je n’y crois pas, j’ai peur de ne pas réussir, je me sens découragé, dépité, en colère… Accepter sa vulnérabilité est une vraie force.

Fabriquer de la relation

  • Echangez des« bonjour » joyeux, sourires, paroles diverses, invitations à se revoir… et hop, envolé le sentiment de solitude !
  • Allez à la rencontre de vos collaborateurs ou partenaires et discutezen toute simplicité et transparence.
  • Recentrez-vous sur la qualité des échanges = connect before correct (d’après Marshall Rosenberg en Communication Non Violente).
  • Contactez 3 à 10 interlocuteurs par jour pour varier la teneur de vos échanges.
  • Télétravail : privilégiez la visio-conférence ou le présentiel pour plus d’humanité, et réduisez les outils collaboratifs.
  • Osez faire confiance, déléguer, sous-traiter, impliquer autrui, créer de nouveaux partenariats.
  • Célébrez vos réussites avec les autres, ainsi que vos déceptions, colères, craintes, car nous sommes d’abord des êtres d’émotions !
  • Dédiez du temps aux évènements professionnels qui oxygènent l’esprit : networking, afterwork, déjeuners webinaires, lancements… Ils prennent du temps mais font du bien.
  • Préférez la solitude à une relation ennuyeuse ou toxique : les autres ne peuvent pas combler vos besoins à votre place.
  • Ecoutez les autres attentivement, y compris leurs objections ou questions dérangeantes. Se confronter et ajuster vos cadres de référence demande temps et énergie, et génère de la richesse.
  • Rejoignez un groupe de pairs ou une association de dirigeants avec lesquels vous serez sur la même longueur d’ondes.
  • Posez quelques règles de vie éthiques au sein de vos groupes d’appartenance : la confiance ne se décrète pas, elle se construit !

Je vous souhaite de transformer votre solitude en de paisibles et ressourçants moments !

La solitude ramène en partie l’homme au bonheur naturel en éloignant de lui le malheur social. Au milieu de nos sociétés divisées par tant de préjugés, l’âme est dans une agitation continuelle ; elle roule sans cesse en elle-même mille opinions turbulentes et contradictoires, dont les membres d’une société ambitieuse et misérable cherchent à se subjuguer les uns les autres. La solitude rétablit aussi bien les harmonies du corps que celles de l’âme.  Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre

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Clio Franguiadakis Osez l'Odyssee Coaching Formation Bordeaux
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Au sujet de l'auteur

Clio Franguiadakis

Depuis 2014, et après 20 années d’expériences dans le secteur privé, Clio accompagne les Dirigeants & Managers dans toutes les phases de leur vie professionnelle, en se focalisant sur 3 leviers de performance : l'Humain, les Relations et l'Efficacité professionnelle. Elle dédie ses compétences, sa passion de l'Humain et son énergie au "mieux-être" et au "bien travailler ensemble". En tant que facilitatrice du changement, elle permet à ses clients de déployer leurs talents et potentiels, et d’accroître leurs performances et résultats. Ses prestations de Coaching professionnel, analyse de pratiques, Co-Développement et formation, en mode individuel et/ou collectif, sont destinées à celles et ceux qui sont prêts à relever les défis qui se présentent et à avancer. A quoi ressemblerait votre vie si vos actions et résultats étaient à la hauteur de vos potentiels ?

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